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Platon, Proust et les neurosciences (French)

Mais que s’est-il donc passé dans la tête de Marcel Proust?

Je fait bien sûr allusion à, ce qu’on appelle de nos jours la “réminiscence proustienne” que Marcel Proust évoque dans “à la recherche du temps perdu” qu’il a écrit entre 1913 et 1922, l'année de sa mort.

 

Dans toute son oeuvre, Marcel Proust est intrigué par ces mondes parallèles dans lesquels nous vivons: celui de la réalité physique présente et celui de notre réalité cognitive faite de notre imagination et de la mémoire. L’exemple le plus connu est celui où le simple fait de manger une madeleine lui rappelle un moment de son enfance passé chez sa tante Léonie. Mais ce qui remarquable est le contraste entre la banalité du moment et l’ extraordinaire émotion qu’il génère.

 

Le ressurgissment d’un souvenir est un curieux évènement psychologique. Il est curieux pour le fait qu’on croyait le souvenir oublié - ce qui est paradoxal car si on s’en souvient, c’est qu’on ne l’avait pas oublié! Alors, où était-il donc passé ce souvenir ? Dans notre inconscient? Comme dirait Freud!

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Nous allons faire un détour dans les zones microscopiques de notre cerveau où regnent des milliards d'hormones, de neurones et de synapses. Mais nous voyagerons aussi dans le temps, vers un passé beaucoup plus lointain, celui de Platon et de sa fameuse allégorie de la caverne.

Platon nous présente différents niveaux de la perception de la réalité, le premier niveau est celui des ombres. Platon utilise l’exemple d’hommes qui tenus prisonniers dans une caverne ne voient que des ombres qui défilent sur la paroi de la caverne. Pour eux, ces ombres n’ont aucun sens. Ils n’en voient que le contour et ne connaisent pas la réalité physique de ces objets.  

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C’est un peu comme des bébés qui voient des objets pour la première fois et qui n’ont aucune idée de l’essence, de l’utilité de ces objets. Les choses que voient les bébés pour la première fois ont la même signification que les ombres que voient les hommes dans la caverne de Platon, c’est-à-dire, aucune.

L’image est envoyée vers le fin fond du cortex crânien, celui de la vue, situé de l’autre côté du cerveau. 

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Le mécanisme est intéressant car il incorpore plusieurs étapes. L’image est reçue par les yeux – mais à l’envers. Les yeux doivent donc la renverser comme le font les appareils photographiques.  L’image est ensuite envoyée par chacun des deux yeux vers chacun des deux hémisphères.

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C’est la production d'une empreinte visuelle, sorte de matière première photographique qui sera traitée par une autre partie du cerveau dans l’étape suivante.

La zone frontale du cerveau est la zone qui analyse l’information photographique. Marcel Proust a donc vue une forme qui ressemble à un coquillage mais dont les couleurs jaune, orange et marron claire ainsi la texture lui rappelle plutôt quelque chose à manger. Oui! il s’agit bien d’une madeleine.

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La détermination de l’objet en tant que madeleine a enclenché le système intellectuel du langage, lui-même associé, par le simple fait de prononcer le mot intérieurement, au système auditif. Le cortex a en même temps ressenti la faim et c’est alors le cortex moteur qui s’est mis en route pour activer le bras qui qui ira chercher la madeleine. Le toucher de la madeleine a éveillé la case du toucher et c’est ensuite le système neuronale du goût qui s’est mis en route.

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Le cortex frontal qui analyse tout en permanence fait d’un seul coup le lien entre le goût de la madeleine envoyé au moment présent à une expérience similaire qui s’est produite dans le passé. Tous les neurones qui avaient été allumés dans le passé sont réactivés et le souvenir rejaillit. Le cortex visuel renvoie des images de sa tante et de sa cuisine. Le cortex du langage lui rappelle des mots qui ont été prononcés, voire une bribe de conversation. Le système émotionnel lui rappelle la tendresse du moment. Le tout, ce melting-pot neurologique complexe de la mémoire, de la vue, du goût, du langage et des émotions, lui procure un flash, un retour en arrrière vers ce moment passé, où tous ces sens avaient été mis en exergue d’une façon similaire.

Le retour fulgurant de ce souvenir lui procure un moment de simple joie, un moment magique où des choses mondaines prennent soudainement du sens. On a l’impression, d’un seul coup de mieux comprendre la vie, c’est une forme d’épiphanie que Platon décrit quand les hommes de la caverne, déchaînés remontent à la surface, de la même manière que la lumière de la conscience reprend le dessus sur l’obscurité de l’inconscient.

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Pourtant, ce moment de profond changement cognitif n’est pas anodin, pour les hommes de Platon, la lumière les aveugle pendant un instant. Pour Proust, c’est comme une décharge émotionnelle qui se produit.

Et il est ensuite difficile de revenir en arrière, quand les hommes de Platon retournent dans la caverne, ils ne sont plus acceptés par les hommes qui y étaient restés, et ils ne les comprennent plus non plus. Pour Proust, dès le souvenir revenu, ce souvenir a tendance à lui coller à la peau, ou plutôt, à lui recoller à la peau, un peu comme une route abandonnée qu’on aurait débroussaillé et qu’on prendrait plaisir, à partir de ce moment-là, à ré-emprunter sans cesse.

Psyflex, 2025

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